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Interview de Claude Bouchot
assisté de Karin, sa femme
 
Propos recueillis par Paul Ohlott
Auteur, journaliste et conférencier
 
Auteurs
Germain Photo
 

Claude Bouchot nous raconte ici son parcours religieux au sein d’un christianisme disparate qui l’a conduit à défendre particulièrement une religion de liberté et de tolérance ayant pour objet essentiel la personne de Jésus-Christ, mais aussi à découvrir, en dépit du cloisonnement dénominationnel, une réelle unité d’esprit entre les véritables chrétiens de tout bord.

Avec sa femme, Karin, il développe – dans un esprit résolument ouvert – un site chrétien indépendant de plus en plus connu sur le web.

 
 

Paul Ohlott : Vous avez découvert la spiritualité assez tôt dans votre enfance. Comment cela s'est passé ?

Claude Bouchot : Je fais partie de la « génération de l'après-guerre ». C'est en 1946 précisément, dans un petit village lorrain que mes parents, tous deux catholiques pratiquants, m'accueillent en ce monde ! Aussi, c'est durant mon enfance que je trouve mes premiers repères religieux grâce à mes parents bien sûr auxquels je tiens aujourd'hui à exprimer toute ma gratitude et d'autre part au travers des leçons de « caté » de l'abbé Reimbold (curé de mon village à cette époque), enseignement dont mes souvenirs sont plutôt fragmentaires.

Puisque vous m'interrogez sur mon cheminement spirituel, je veux d'emblée ouvrir une parenthèse pour préciser que celui-ci n'a pas toujours été prioritaire dans ma vie, qu'il à été marqué par des phases de stagnation ou de nonchalance mais aussi par des périodes de recherche intense suivies de corrections de trajectoire, bref le contraire d'un long fleuve tranquille.

Cela dit, je reviens aux années 50 en Lorraine où, il faut le reconnaître, la force du sentiment religieux est nettement plus perceptible qu'aujourd'hui. Toutefois, il s'agit essentiellement d'un christianisme « extérieur » basé sur le rite, du moins, c'est comme cela que je le perçois. Une Eglise numériquement sécurisante – j'associe alors sans réfléchir majorité à normalité – à laquelle je m'accommode fort bien sans pour autant faire évoluer « ce christianisme d'enfant ». Mais on sait que tout progrès est hélas difficilement compatible avec l'immuabilité des traditions même profondément religieuses !

Par exemple, les dimanches à la messe, en qualité d’enfant de chœur, j’accepte volontiers – avec d’autres « acolytes » du même âge – d’aider le desservant… non sans avoir revêtu la sacro-sainte soutane rouge, le surplis blanc et le camail rouge ! Les fonctions qui me reviennent le plus souvent sont celles de cérémoniaire ou de thuriféraire dont, sans me vanter, je m’acquitte assez bien.

Il faut rappeler que le concile de Trente (1545-1563) a procuré à l’Eglise catholique une base doctrinale qui est restée grosso modo la même pendant quatre siècles… jusqu’à Vatican II (1962-1965) ! Ainsi, la messe en latin célébrée selon l'ancien rite tridentin fait intervenir un certain nombre d'acteurs – prêtre, servants de messe et chorale – se partageant clairement les rôles. Quant aux fidèles rassemblés, ils ont plutôt un rôle de spectateurs, mais peuvent cependant chanter – en latin – de tous leurs poumons et suivre les textes liturgiques dans leur missel. Le célébrant, acteur principal, a le dos tourné à l'assemblée. En fait, il y a deux assemblées : les hommes à droite et les femmes, la tête couverte, à gauche ! A la fin de cette grand-messe du dimanche, l'Ite, missa est est particulièrement bien « interprété » par la plupart des hommes qui – aussitôt – sortent de l'église et se ruent vers le cabaret du village pour la traditionnelle partie de belote dominicale !

Au-delà du cycle hebdomadaire, la vie paroissiale est rythmée par les fêtes de l'année liturgique. La plupart des enfants goûtent ces moments privilégiés auxquels s'attachent maintes traditions transmises de génération en génération et dont certaines sont désormais tombées dans l'oubli. C'est le cas, par exemple, de la procession des Rogations (juste avant l'Ascension), vieux rituel paysan destiné à protéger les champs des fléaux météorologiques qui s'accomplissait encore en France au début des années 50.

Bref, depuis des siècles, les habitants de nos villages vivent sédentaires dans un enclos paroissial où seul le curé peut leur apporter un peu de connaissance religieuse. C'est pour cela que le concile Vatican II (ouvert le 11-10-62 par Jean XXIII), venant bousculer quelques coutumes et façons de penser, est perçu par beaucoup de catholiques comme une bouffée d'oxygène !


Paul Ohlott : Depuis ce dernier concile, la vie à la campagne a beaucoup changé, pouvez-vous nous dire quelques mots sur le changement religieux ?

Claude Bouchot : C'est vrai, Vatican II a ouvert la porte au changement, et parmi les nombreuses réformes entreprises par ce concile, celle de la liturgie (cf. Constitution Sacrosanctum Concilium) est à l’évidence une des mesures qui a été la plus visible et la plus commentée dans la vie d’Eglise.

Ainsi, en voulant simplifier un cérémonial suranné, les pères conciliaires ont notamment dépoussiéré le rituel de la messe… au grand dam des traditionalistes ! Le prêtre, qui par ailleurs n’est plus obligé de porter la soutane, dit désormais la messe face aux fidèles (bien que la Constitution mentionnée précédemment ne parle pas de l'orientation de l'autel) dans la langue vernaculaire et non plus en latin. Les enfants de chœur de jadis vêtus en « petits cardinaux » laissent à présent la place aux servants d'autel revêtus d’une aube ! En participant à l’action liturgique, les simples fidèles n’ont plus seulement un rôle de spectateurs, mais aussi d’acteurs. La lecture de la Parole a lieu à l’ambon et non plus à l’autel. Les rites et prières ont été significativement allégés. Bref, un rituel apparaissant simplifié et moins mystérieux qu’autrefois… bien que l’on parle toujours du « mystère de la messe » !

Il est force de constater que, depuis Vatican II, la vie religieuse a bien évolué. Désormais, les paroisses rurales se regroupent, les paroissiens voyagent hors frontières et utilisent les moyens modernes de communication. En raison de la pénurie de prêtres, les laïcs participent activement à la vie paroissiale. Au sein de l’Eglise, l’heure est à l’ouverture et au dialogue. Oui, des aspects nouveaux sont apparus dans le catholicisme. Et même si certaines traditions religieuses faisant partie intégrante du patrimoine socioculturel de nos villages ont disparu, je ne pense pas que l'on doive le regretter dans la mesure où elles ont été remplacées par un renouveau spirituel associé à une plus grande connaissance religieuse et surtout à une redécouverte de la Bible.

L'Eglise n'est plus le havre de stabilité qu'ont connu mes ancêtres. Au sein de celle-ci, on discerne maintenant de multiples courants de pensée. Une diversité interne complexe délimitée d'un côté par ceux qui, déçus des textes de Vatican II, regrettent bénitiers et soutanes et de l'autre côté par ceux qui, séduits par la liberté d'esprit des protestants, se réfèrent de moins en moins à la Sainte Tradition pour se conformer plus aux Saintes Ecritures.

Nous pouvons à ce propos saluer la publication – par le concile Vatican II – de la Constitution Dei Verbum sur la Révélation divine, premier document consacré à la Bible exprimant une réelle volonté de rendre celle-ci au peuple de Dieu et de renforcer sa place dans la vie chrétienne. Ainsi, des milliers de groupes bibliques ont été créés. Les catholiques ont vraiment redécouvert la Bible comme source essentielle de vérité… et l’on peut s’en réjouir ! Rappelons que jusqu'aux années 50 en France, on ne parlait jamais de la Bible, ce mot était tabou, le prêtre durant la messe ne lisait que des extraits (soigneusement choisis par la liturgie romaine) des Evangiles ou des Epîtres !

Il faut également souligner que l’Eglise catholique a revu sa position sur les droits de l’homme. La reconnaissance et l’acceptation de la liberté religieuse illustrent et renforcent le tournant historique amorcé par Vatican II.

Notons enfin l'esprit d'ouverture œcuménique prôné par les réformateurs de Vatican II et leur invitation à une large collaboration entre catholiques et protestants particulièrement dans la traduction et la diffusion de la Bible (la Traduction Œcuménique de la Bible et la Bible Expliquée sont deux exemples éloquents de cette collaboration interconfessionnelle).

Cela dit – permettez-moi ici une petite digression –, si le concile Vatican II à apporté, comme je le disais précédemment, une bouffée d'air frais dans l'Eglise catholique, celle-ci est restée la même dans son essence. Seuls, quelques aspects nouveaux ont été apportés. A ce propos, le 26 janvier 1979 au cours de son homélie dans la cathédrale de Mexico, le pape Jean-Paul II a bien précisé « qu'il n'y a pas – comme certains le prétendent – une "nouvelle Eglise" différente ou opposée à la "vieille Eglise" », un discours qui ne manqua pas de provoquer la déception de beaucoup de catholiques !

Certes, les fidèles peuvent avoir accès désormais à d'abondantes ressources numériques, à une pléthore de livres et surtout à un nouveau catéchisme offrant l'ensemble de la doctrine catholique « attestée ou éclairée » par de nombreuses citations bibliques. Mais il est faux d'imaginer que les préceptes de l'Ecriture apportés à ce catéchisme ont supplanté les dogmes anciens de l'Eglise.


Paul Ohlott : Revenons à votre jeunesse ! Au fil des années où vous avez été plongé dans ces rites et pratiques catholiques, comment a évolué votre regard sur la vie religieuse ?

Claude Bouchot : Alors que la Profession de Foi (cérémonie en usage dans certains pays seulement et appelée autrefois Communion solennelle) signifie généralement vers l'âge de 12-13 ans l'arrêt des études et de la pratique religieuse chez les jeunes, je continue à bénéficier d'un enseignement religieux jusqu'à 17 ans. En fait, je découvre encore un peu plus les principaux aspects du catholicisme, avant tout une énorme institution offrant un enseignement extrêmement complexe !

Durant les années qui suivent, tout en restant cependant fidèle aux préceptes chrétiens de base, je prends peu à peu du recul par rapport aux pratiques du catholicisme, les trop nombreuses traditions fantaisistes de ce dernier n'amusent plus l'enfant de chœur que j'étais ! Et surtout, les obligations de ma vie professionnelle, ensuite familiale (prédominant largement sur celles de ma vie religieuse) ralentissent quelque peu mon cheminement spirituel.

Je suis toutefois convaincu que la liberté chrétienne fait (devrait faire) partie des valeurs essentielles du christianisme. En plaidant par ailleurs pour un christianisme moins ostentatoire et plus proche des textes sélectionnés par la liturgie, j'acquiers rapidement les convictions d'un « catholique réformateur ». En fait, sans encore bien m'en rendre compte, je m'oriente progressivement vers la pensée protestante que j'embrasserai par la suite !

Notons en passant qu'aujourd'hui de nombreux catholiques contestataires, sans pour autant quitter leur Eglise qu'ils aiment bien, s'organisent de plus en plus en créant leurs sites web, en provoquant des rencontres et en proposant des pistes de réflexions et de réformes dont certaines, aussi courageuses que celles de Luther et Calvin (sans trop croire évidemment à leur réalisation) !


Paul Ohlott : Quels sont les événements qui vous ont amené à vous orienter différemment ?

Claude Bouchot : En 1976 (j'ai donc 30 ans), mes engagements culturels en marge de mes activités professionnelles m'accaparent en effet tellement que j'en arrive bientôt à mettre mon christianisme « au placard » ! La photographie devient alors ma nouvelle « religion » !

Mais Dieu s'en aperçoit assez vite et ne tarde pas à me rappeler à l'ordre un jour où je ne m'y attends pas, en faisant brusquement le vide dans mon emploi du temps... ce qui me donne enfin le temps de lire sa Parole pour la première fois ! Pour information, on peut découvrir cette anecdote en second plan d'un texte relatant mes souvenirs de photographe.

La lecture de la Bible dans son intégralité – nous sommes en 1980 – est pour moi une véritable révélation, la découverte de la vraie lumière et de la source du christianisme.


Paul Ohlott : C'est donc à l'âge de 34 ans que vous avez commencé à lire la Bible. Quelles ont été vos découvertes majeures ?

Claude Bouchot : En me familiarisant avec ce gros livre, tellement supérieur à tous les autres livres, je perçois d'abord une vérité fort simple : la religion de la Bible est fondée sur l'enseignement, la personne et la vie de Jésus-Christ qui est (devrait être) le centre de la doctrine chrétienne. Je découvre aussi que « toute l'Ecriture est inspirée de Dieu » (2 Timothée 3.16), un fait indiscutable admis par l'ensemble des chrétiens (catholiques, protestants, orthodoxes) qui reconnaissent tous que la Bible est la Parole de Dieu écrite.

Ainsi, l'origine divine de l'Ecriture lui confère-t-elle automatiquement une incontestable autorité en matière de foi et de conduite. Logiquement, la révélation biblique devrait donc être pour le chrétien l'unique base de ses croyances et si tous les adeptes du Christ aujourd'hui (on peut rêver) voulaient se soumettre à cette autorité, alors nous pourrions espérer l'unité dans le christianisme !

Malheureusement, c'est la diversité que l'on constate ! Une étonnante diversité due en grande partie à la liberté individuelle. Dieu donne en effet à tout homme la liberté de conscience même si ce principe produit la diversité. Si l'Ecriture n'est pas souveraine pour tous les chrétiens, c'est parce que tous ont la liberté de choisir et la diversité théologique et spirituelle est donc bien la conséquence naturelle de cette liberté.

Bien que dans sa Parole, concernant son Eglise, Dieu ne parle que d'une dénomination : l'Eglise de Dieu (à douze reprises), que d'un « seul troupeau » conduit par un « seul berger » (Jean 10.16), on peut penser que selon sa grande compassion il supporte cette pluralité religieuse contraire à sa volonté. A partir de cette immense nébuleuse spirituelle, il compose, tout simplement ! Dans cette ligne de pensée, quelqu'un a dit qu'il « sait écrire droit sur des lignes courbes » ! C'est pour cela que nous pouvons avoir la certitude que son Eglise est bien réelle, que son véritable peuple est disséminé actuellement parmi tous les milieux chrétiens ou autres... en réalité, une église universelle – comportant des aspects visibles et des aspects invisibles – comme le pensait Luther, le grand réformateur. Dieu connaît ses enfants, lui seul peut juger les pensées et les sentiments (2 Timothée 2.19).

Concernant la diversité religieuse, j'aime beaucoup ces lignes de Edmond Itty auxquelles j'adhère entièrement : « Diversité ne veut pas dire nécessairement division, ni opposition, ni hostilité [...] Il existe en effet une unité d'esprit très réelle entre les chrétiens que l'amour de Dieu anime qu'elle que soit l'Eglise à laquelle ils se rattachent au cours de leur vie. Ils sont frères malgré certaines divergences d'opinions, pourvu qu'elles ne deviennent pas des divergences de coeur. Christ les unit sans les contraindre à entrer dans une même communauté religieuse si leur conscience n'y consent. On peut aimer ses frères sans partager nécessairement toutes leurs idées » (1).

Finalement, pour celui qui cherche Dieu (ou plutôt qui se laisse chercher par lui), cette surprenante diversité ecclésiale est source d'une grande richesse spirituelle et théologique. De ce gigantesque bouillonnement, à la lumière de la Bible, il faut d'abord entendre les nombreuses voix communes, examiner par ailleurs les plus discordantes mais aussi percevoir les diverses voix complémentaires rehaussant des vérités bibliques négligées ou nouvellement découvertes.

Cela dit, je pense que chaque Eglise chrétienne a contribué et contribue à sa façon à sauvegarder et à répandre l'Evangile : ainsi par exemple, dès les premiers siècles, l'Eglise catholique à défendu contre vents et marées le mystère de la Trinité, l'un des fondements du christianisme, les grandes Eglises protestantes (luthériennes, réformées, anglicanes) ont reconnu la Parole de Dieu comme étant la seule autorité souveraine et redécouvert particulièrement le message de la justification par la foi seule, principe essentiel du protestantisme, les baptistes ont remis en valeur le baptême des adultes par immersion, les adventistes, l'importance du retour du Christ, perspective dont se nourrit l'espérance chrétienne et les pentecôtistes, les dons du Saint-Esprit...

Si le christianisme m'apparaît comme une religion de liberté – « c'est à une pleine liberté que vous avez été appelés » (Galates 5.13, Parole vivante par Alfred Kuen) –, je constate qu'il est aussi une religion de tolérance. Ainsi, la Bible enseigne de « ne rien faire par rivalité et de considérer les autres comme supérieurs à soi » (Philippiens 2.3). Jésus-Christ nous dit aussi : « Quiconque n'est pas contre nous est pour nous. Et quiconque vous donnera à boire un verre d'eau en mon nom, parce que vous appartenez à Christ, je vous le dis en vérité, il ne perdra point sa récompense » (Marc 9.40-41). Bien que tous les chrétiens n'appartiennent pas à un groupe unique, tous proclament pourtant la même bonne nouvelle du Christ ressuscité ! Alors, pourquoi ne collaborions-nous pas volontiers avec des chrétiens d'autres dénominations que la nôtre sans permettre à nos divergences doctrinales et aux frontières entre Eglises de faire obstacle à cet objectif commun ?

Hormis la liberté et la tolérance chrétiennes, deux valeurs qui me sont chères, mes recherches bibliques me font découvrir en même temps un christianisme beaucoup plus simple que celui que je connaissais auparavant et surtout un christianisme expérimental, une relation entre Dieu et ses créatures sans intermédiaire sinon le Christ seul. Au cours de cette interview, je ne peux pas détailler toutes ces nouvelles acquisitions auxquelles j'adhère progressivement. Ces dernières constituent en fait le fond doctrinal commun aux principales Eglises chrétiennes.


Paul Ohlott : Dans ce christianisme disparate, vous percevez avant tout une réelle unité d'esprit entre les véritables chrétiens, vous défendez particulièrement une religion de liberté et de tolérance et il semble qu'on ne puisse pas proprement parler de renoncement par rapport à vos croyances d'origine ?

Claude Bouchot : Effectivement, depuis mon enracinement initial dans le terreau catholique lorrain, j'ai côtoyé assez régulièrement le pluralisme religieux. Ainsi, les notions de liberté, diversité et tolérance chrétiennes soulignées précédemment m'ont « accompagné » jusqu'à aujourd'hui. Plus précisément, durant ce parcours, j'ai observé les orthodoxes en Roumanie, les anglicans en Angleterre, mais surtout fréquenté les grandes Eglises traditionnelles protestantes et plusieurs Eglises évangéliques en France. En passant, je veux rassurer celui ou celle qui verrait sur mon chemin de pèlerin une rupture par rapport à mon attachement d'origine qu'il s'agit au contraire d'un « ré-enracinement » en creusant sous l'humus de la tradition !

A ce propos, je souscris sans réserve à ce texte dans lequel Fadiey Lovsky s'attarde sur le mot conversion : « Nous avons, nous autres chrétiens, abîmé, maltraité et défiguré le mot "conversion" autant que le mot "charité". Non point par hasard, puisque la conversion n'a pas d'autre aliment ni d'autre finalité que l'amour. Si la conversion me conduit à rompre, c'est pour aimer davantage ; elle ne m'éloigne pas des autres en me faisant passer par la porte étroite où je me distance d'abord et surtout de ce que j'étais moi-même. Quand la conversion nous éloigne du prochain et des autres, c'est qu'elle a choisi la grand-route où la dureté de coeur et l'âpreté de la pensée bannissent inévitablement l'amour. L'authentique conversion ne transforme pas le converti en procureur ; elle n'en fait l'ennemi de personne : on ne saurait se convertir valablement contre aucune doctrine ni aucune communauté humaine. [...] L'homme se convertit pour Dieu et non contre les hommes ; pour Dieu, c'est-à-dire à la volonté d'un Dieu qui lui apprend à aimer. Les vraies ruptures ne sont pas des critiques à l'encontre d'autrui, mais des repentances par rapport à soi-même » (2).

Par ailleurs, je ne veux pas oublier de noter qu'au cours de ce cheminement, ma femme s'est jointe à moi et depuis de nombreuses années, nous recherchons ensemble un christianisme plus authentique sans nous lier actuellement à une quelconque dénomination afin d'être plus libres. A vrai dire, en défendant ce point de vue, nous nous référons volontiers à la pensée de l'apôtre Pierre pour qui la véritable signification de la liberté chrétienne est tout simplement... la possibilité de servir Dieu : « Comportez-vous en hommes libres, non certes comme des gens qui, sous couvert de liberté, justifient leur désir de suivre leurs mauvais instincts, mais comme des hommes qui, librement, servent Dieu » (Première lettre de l'apôtre Pierre, 2.16, Parole vivante par Alfred Kuen).

C'est ce que confirme, en d'autres termes, Henri Fesquet, ex-chroniqueur religieux du journal Le Monde : « Ni telle philosophie, ni telle théologie, ni telle morale, ni tel canon, ni telle civilisation, ni telle nation, ni telle classe, ni telle race, ne constituent des idoles et ne doivent nous faire plier les genoux. Ce ne sont que des instruments provisoires [...] Dès que ces moyens se révèlent inadaptés, dès qu'ils font écran, il faut prendre ses distances par fidélité à Jésus-Christ » (3).

Il n’empêche que pour les chercheurs de sens que nous sommes, il est bien triste de nos jours de constater le développement de la culture du mépris à l’encontre du christianisme… qui s’impose en fait depuis les années soixante ! Partant, l'engagement chrétien n'est plus – hélas – un choix de vie pour la plupart de nos contemporains. « Il est incontestable [écrit l’historien René Rémond] qu’on assiste à un effondrement, à la disparition de pans entiers de la vie ecclésiale et même sociale, eu égard au rôle historique de l’Eglise. […] Autrefois, ceux qui n’allaient pas à la messe se savaient minoritaires et se sentaient marginaux. Nous vivons actuellement le phénomène inverse, dans un environnement qui a changé du tout au tout. L’adhésion à la foi et à ses conséquences revêt vraiment un caractère volontaire, qui implique souvent d’aller à contre-courant des sentiments dominants, de braver une indifférence générale (4). »

 

Paul Ohlott : Depuis deux ans, avec votre femme, vous diffusez au monde entier le fruit de vos réflexions, pouvez-vous maintenant nous parler brièvement de votre site web ?

Claude Bouchot : A la fin de l'année 2001, nous avons décidé en effet, Karin et moi, de développer un site chrétien indépendant (non inféodé à une quelconque Eglise) intitulé Bouquet philosophique, proposant dans un esprit de liberté et de tolérance un assemblage de réflexions diverses s'imprégnant essentiellement des Ecritures, mais s'éloignant de tout prosélytisme. Attirer l'attention des lecteurs en recherche de sens sur quelques points essentiels du message évangélique et – sans encourager personne à quitter sa communauté – établir des ponts entre les différents groupes de pensée chrétienne (hélas, de plus en plus dispersés en raison de nos murs humains et religieux), tels sont les principaux objectifs que nous nous sommes fixés en créant ce site.

En passant, je tiens à dire toute mon admiration à Karin qui en est la responsable éditoriale, une fonction qu'elle remplit avec compétence et surtout une volonté de « faire » hors du commun sachant qu'elle doit surmonter par ailleurs au quotidien l'impact de l'intrication de plusieurs pathologies chroniques éprouvantes (imposant fatigue, insomnie chronique, gêne respiratoire, douleurs musculaires et articulaires pour ne citer que quelques symptômes) la touchant depuis 1992 !

Pour revenir aux Ecritures, on sait selon ces dernières que les chrétiens – même dans le feu de l'épreuve – sont appelés à diffuser la lumière de l'Evangile vers tous les habitants de la terre selon l'ordre donné par le Sauveur qui ne s'adresse pas seulement aux ministres consacrés mais à tous les croyants, à tous ceux qui reçoivent la vie du Christ : « Allez par le monde entier, proclamez l'Evangile à toutes les créatures » (Marc 16.15). Et dans cette grande œuvre confiée aux chrétiens, l'internet devient un formidable outil d'évangélisation.

Evidemment, il y a de très nombreux sites chrétiens sur le web et nos pages demeurent somme toute modestes. Néanmoins, Bouquet philosophique attire de plus en plus de visiteurs dont certains, au-delà des frontières entre Eglises, n'hésitent pas à nous exprimer leur véritable satisfaction.


Paul Ohlott : En guise de conclusion, pouvez-vous récapituler succinctement les principales vérités et valeurs du christianisme qui vous ont le plus marqué au cours de votre cheminement spirituel ?

Claude Bouchot : Je vais essayer d'être concis car celles-ci sont nombreuses. Tout d'abord, on peut dire avec fondement que le christianisme est une religion exceptionnelle... de par son essence même, l'amour inconditionnel de Dieu pour ses créatures. Une relation unique totalement absente dans les deux autres religions révélées et dans toutes les philosophies humaines. Dieu donne à l'homme une intelligence, un libre arbitre et la promesse d'un bonheur parfait pour l'éternité. Hélas, on sait que le mauvais choix de l'homme ne tarde pas à altérer cette relation. Mais Dieu, dans son amour absolu pour ses créatures, pour leur permettre d'accéder néanmoins à la vie éternelle, a prévu un plan inouï de sauvetage de l'humanité.

Cette « histoire du salut », c'est justement ce que rapporte la Bible… qui est le texte fondateur du christianisme, la source et le fondement de la foi chrétienne. Un livre par excellence, parfaitement suffisant pour faire connaître les desseins du Créateur à l'égard de l'homme et contenant notamment tout ce que ce dernier doit savoir pour accéder au salut.

Je vois aussi le christianisme non comme une religion passive où il suffit de dire amen mais plutôt comme une religion pratique, expérimentale, autour d'une relation entre Dieu et l'homme, une relation qui était perdue et qu'il s'agit de retrouver grâce à un seul médiateur, le Christ. Ce dernier, Chef de l'Eglise, est la « pierre angulaire » de l'édifice et chaque croyant, une « pierre vivante ».

Enfin, le christianisme apporte une réponse saine et juste à toutes les questions existentielles que l'homme se pose, il donne un sens à la vie, du courage dans l'épreuve, je l'ai déjà dit, il repose sur les piliers jumeaux de la liberté et de la tolérance, mais ne doit jamais par contre interférer avec la politique. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le christianisme n'a pas failli, il a seulement été altéré. Il suffit de revenir à sa source, l'Ecriture, l'Ecriture seule, afin de retrouver la simplicité de l'Evangile.

7 Juillet 2003

 
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1. Edmond Itty, Illusions et trahisons de notre temps, 4e éd., Paris : Les Bons Semeurs, 1967, p. 16-19.
2. Extrait de la préface de Fadiey Lovsky, écrite pour le livre de Jacques Doukhan, Boire aux sources, Dammarie-lès-Lys : SDT, 1977, p. 20.
3. Henri Fesquet, Rome s'est-elle convertie ?, Paris : Grasset, 1966, p. 35.
4. René Rémond, Le christianisme en accusation, Paris : Desclée de Brouwer, 2000, p. 70-71.
 
 
Commentaires
 

Marie Sawano :

Parfois, une rencontre « virtuelle » vient répondre à des questions, dissiper un malaise, cela a été le cas pour moi à la lecture du parcours de Claude et de son témoignage, venant en ami, avec des mots qui m'ont réellement « percutée ». Non, non, je n'exagère pas. Catholique portée sur les fonds baptismaux en l'absence de ma mère qui se reposait à la maternité – on n'avait pas attendu la fin de ma première semaine de vie pour me donner ce sacrement qui faisait de moi une chrétienne ! –, je me suis pleinement retrouvée dans le vécu de Claude et sa volonté de creuser sous l'humus de la tradition catholique pour y retrouver la fraîcheur et l'authenticité de la Parole. Tout cela est formulé par Claude avec humour, et surtout, sérénité ! Merci Claude, j'encourage tous les croyants de bonne volonté, soucieux d'harmonie, animés par l'amour du Christ et de sa Parole, à aller lire, relire et méditer cet entretien !

 

Claude Calet, scientifique :

Le contenu de votre entretien m’a beaucoup plu. Il traduit votre maturité en analysant les étapes de votre vie. Ceci est à la fois difficile et courageux de votre part ; beaucoup ne le font pas. Mais vous avez été récompensé : quel aspect édifiant, quelle plénitude et quelle sérénité ressortent de votre parcours malgré les (ou peut-être à cause des ) alternances de doute et de conviction. Peu de personnes de bonne volonté, comme vous, cherchent – et trouvent – un sens à leur vie en s’approchant de la Vérité. J’ai également apprécié la tolérance dont vous faites preuve à propos des différentes religions dont le « pluralisme est une grande richesse ». Pourtant, comme vous le décrivez, il faut chercher ce qui nous rapproche au lieu de se jeter nos divergences à la figure. On a connu au cours des âges cette dernière situation devenue extrême. Elle a fait tant de mal, alors que la générosité nécessaire pour comprendre l’autre eût été plus efficace. Heureusement que quelques gens comme vous ont compris cela. Félicitations, mon Cher Ami, continuez dans ce sens. Avec toute mon amitié.

 

René Ferré :

En visitant votre site Bouquet philosophique (un havre de paix dans la tourmente de malheurs qui nous submergent), je suis allé lire votre interview ainsi que les commentaires qui lui font suite. Mon cher Claude, seriez-vous en devenir la conscience des chrétiens qui veulent vivre leur foi librement dans un cadre dépoussiéré des ajouts des hommes et du temps ? Ce qui est remarquable et ce qui m’enchante, c’est que vous vous faites une quasi-unanimité parmi les chrétiens qui se préoccupent de préserver la foi en communion avec le message du Christ. N’est-ce pas rassurant pour les chrétiens que nous sommes de savoir que des hommes qui se soucient de leur salut, reconnaissent que l’Eglise ne fait pas le chrétien !

 

Xavier de Laage :

Ta marche spirituelle m’a vivement intéressé. Tu as grappillé dans toutes les Eglises pour ne garder finalement que la pureté originelle de l’enseignement du Christ, fondé sur la Bible, Karin partageant heureusement ta recherche et ta progression. La relation avec Dieu est affaire intime, chacun ayant son rythme, la sainteté étant sans limite. Je souhaite que ces échanges par l’intermédiaire du web aident chacun à progresser. Bien amicalement à vous.

 
 
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